30/06/2025

Prévenir les ruptures conjugales : un accompagnement au service de l’amour

Alors que le divorce est une situation répandue aujourd’hui en France, l’accompagnement par un professionnel peut aider les couples à traverser les périodes difficiles à travers la relecture de leur histoire et l’écoute mutuelle en présence d’un tiers. Les explications de Pascale Jahan, conseillère conjugale.

Pascale Jahan est conseillère conjugale et familiale, membre de l’Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux (ANCCEF) et thérapeute de couple à Figeac. Elle est membre du secteur conjugalité de la CNAFC.

 

Vous qui recevez de nombreux couples, comment expliquez-vous l’importance du taux de divortialité en France ?

L’une des explications que j’y vois, c’est ce que certains appellent le « couple tapis roulant » : on se rencontre, on se plaît, on a rapidement des relations sexuelles, ça se passe bien, on s’installe ensemble (ce qui permet de faire des économies), on a un premier enfant… Mais à aucun moment le couple n’a pris de décision. Quand, dans mon cabinet, je demande à un couple à quel moment ils ont décidé de vivre ensemble, les deux se regardent. Puis ils me disent : « Ça s’est fait comme ça, on s’est laissé porter ». Ces couples-là sont les plus difficiles à accompagner, parce qu’ils n’ont pas eu de projet de couple au départ. C’est particulièrement frappant chez ceux qui ont une trentaine d’années. Chez les plus âgés, vers 40-45 ans, je rencontre beaucoup de couples qui avaient des projets (fonder une famille, construire une maison). Ils ont mis toute leur énergie là-dedans, et le jour où la maison est finie, ils se rendent compte qu’ils ont négligé leur couple. Il est devenu une coquille vide : ils ont mis toute leur énergie à construire le nid, mais il n’y a plus rien dedans. En consultation, je demande aux personnes quelle part de leur temps elles consacrent à leur travail, à leurs enfants, à leur maison, à leur couple : il n’y a souvent pas de place dans leur vie pour des temps gratuits à deux. Je vois aussi qu’on a souvent du mal à accepter que l’autre soit différent, qu’il n’aime pas les mêmes films, qu’il ne s’occupe pas des enfants de la même manière ou qu’il n’a pas le même rythme de sommeil… Or, heureusement qu’on est différents ! Le risque serait de remettre en cause son couple pour cette raison en pensant que l’on s’est trompé, puis de se remettre en couple avec quelqu’un d’autre avec qui il risque de se produire exactement la même chose.

 

Comment un accompagnement de couple peut-il être un moyen de prévenir les ruptures conjugales ?

 Déjà, la consultation, et le chemin pour s’y rendre quand on arrive ensemble, sont en eux-mêmes un temps consacré au couple. On y expérimente le fait de pouvoir se parler et d’être écouté en allant jusqu’au bout de sa phrase dans un cadre sécurisant. Je rappelle que le sens du mot « conseil » peut prêter à confusion : en aucun cas un conseiller conjugal ne donne de conseils. Je dis plutôt qu’il « tient conseil » avec le couple, l’interroge, lui donne éventuellement des pistes, mais jamais ne lui dit ce qu’il doit faire. Quand je reçois un couple, je travaille beaucoup sur les ressentis de chacun, sur l’histoire du couple, qui peut être lourde. Cette relecture permet parfois de faire remonter des choses que l’on n’avait pas pu, ou pas su se dire. En relisant sa vie, le couple se rend aussi compte des belles choses qu’il a vécues, et peut se demander comment y arriver à nouveau. Enfin, un tel accompagnement est une occasion de se reconnecter quand on a pris, sans s’en rendre compte, des chemins différents : en se parlant, en se touchant (parfois, pendant la séance, j’invite l’un des deux à se placer derrière l’autre et à lui parler en lui tenant les épaules), on réapprend à créer une intimité qu’on avait perdue.

 

Quels sont, selon vous, les signaux à prendre en compte avant qu’il ne soit trop tard pour éviter la rupture ?

Quelqu’un m’a dit une fois qu’il avait la boule au ventre en rentrant chez lui le soir. Parfois, le corps parle, et le malaise physique traduit une difficulté. Il ne faut pas attendre que la situation devienne trop lourde pour venir consulter. De même qu’on va voir un dentiste quand on a mal aux dents, on devrait pouvoir aller voir un conseiller conjugal quand on sent que son couple souffre. Dans ce domaine, les jeunes générations me semblent plus décomplexées, et c’est une bonne chose. De même, il ne faut pas hésiter à venir seul dans un premier temps si l’un des deux est réticent : cela est déjà bénéfique.

L’infidélité fait évidemment aussi partie des raisons qui poussent les couples à consulter, quand l’un s’est rendu compte que l’autre le trompait. Mais je tiens à dire qu’elle n’est pas la mort du couple. J’ai ainsi reçu un jour un couple de catholiques engagés, parents de cinq enfants. Lui avait entamé une liaison avec une autre femme. Il est venu plusieurs fois seul, se demandant qui il devait quitter, de son épouse ou de sa maîtresse. Puis il a décidé de rompre avec sa maîtresse. Il est revenu avec sa femme, et ils ont avancé sur le chemin du pardon. Cela n’a pas été facile, mais ils y sont arrivés en travaillant ensemble sur leur histoire, car l’infidélité n’arrive jamais par hasard, elle est souvent le symptôme d’une difficulté au sein du couple. Leur témoignage montre qu’il est possible de la dépasser.

 

Les statistiques montrent une augmentation des séparations après la naissance du premier enfant. Comment l’expliquez-vous ?

Absolument, je le constate très souvent. Hier encore, j’ai entendu dans mon cabinet : « Depuis la naissance de mon fils, ce n’est plus pareil ». J’incrimine beaucoup la pression sociétale qui demande aux mères d’être parfaites. À une période où la femme est fatiguée, en plein bousculement, la société la pousse à reprendre son travail avant même que son bébé fasse ses nuits. Entre la maison, les enfants et le travail, c’est souvent le couple qui trinque. Au moment de la naissance, on passe aussi d’un rythme où l’on disposait de son temps comme on voulait à une vie marquée par beaucoup plus de contraintes. Parfois, on ne l’avait pas vraiment anticipé. Pour peu que le désir d’enfant n’ait pas été tout à fait partagé, le couple est mis à rude épreuve.

 

Quelles autres périodes fragilisent le couple ?

 Quand l’un des deux s’investit beaucoup dans l’accompagnement d’un parent malade ou âgé, cela peut être vécu comme un abandon de la part de l’autre. Il est important d’en parler, de voir ensemble comment faire la part des choses. D’une manière plus générale, tous les changements sont des périodes sensibles pour le couple : déménagement, changement professionnel, départ des enfants de la maison, arrivée à la retraite. Pendant ces périodes délicates, il est d’autant plus important de parler et d’exprimer ses difficultés. Sans quoi celles-ci peuvent fragiliser le couple, sur le moment ou en rejaillissant plus tard.

 

N’y a-t-il pas des situations pour lesquelles la rupture s’impose ?

En effet, il y a des cas pour lesquels la séparation est non seulement possible, mais indispensable. Lors d’une formation délivrée par la Conférence des évêques de France au sujet des violences conjugales, j’ai appris que celles-ci étaient plus fréquentes au sein des couples croyants que dans le reste de la population. Cela est dû à une mauvaise lecture de la Parole de Dieu sur la fidélité, sur le sens de la souffrance ou du pardon, qui empêche de se dire que certains comportements ne sont pas normaux. Je ne remets absolument pas en cause l’indissolubilité du mariage. Mais quand il y a de la violence, qu’elle soit physique ou psychologique, et que l’un des époux ne respecte pas l’autre comme une personne, quand l’intégrité d’une personne est mise en danger, le lien du sacrement demeure mais il est dévitalisé. Il est important d’être attentif à ces situations dans son entourage, dans sa paroisse, ou même au sein des parcours de préparation au mariage, par exemple.

 

Pourriez-vous nous raconter un souvenir qui vous a marquée lors d’un de vos accompagnements ?

 J’ai reçu un couple à l’approche de leurs vingt ans de mariage. Ça n’allait pas tellement mal, mais ils avaient envie de renouveler leur communication conjugale, que ça aille mieux. Un jour où ils rentraient chez eux, un de leurs enfants, adolescent, leur a dit : « Mais qu’est-ce que vous faites, les parents, en ce moment ? On ne vous reconnaît pas… ». Il les trouvait plus légers, plus joyeux, plus amoureux. Quand ils m’ont dit ça, je me suis dit que je n’avais pas perdu mon temps… et eux non plus !

 

Sophie Le Pivain

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