01/12/2020

La volonté de faire évoluer les comportements

Entretien – Alors que tous n’ont pas encore pris totalement conscience du tournant écologique, les AFC répondent à différentes objections.

Entretien

  • Jean Naymarre est un consommateur catholique qui pense que la CNAFC ne devrait pas céder à la mode verte.
  • Nicolas Revenu est juriste, habitant la région parisienne. Il est marié et père de deux enfants. Il a effectué pratiquement toute sa vie professionnelle dans le domaine de la protection des consommateurs. En retraite, il est désormais chargé du département consommation de la CNAFC, avec Laurent Wallut.

 

Jean Naymarre – On ne parle que de transition écologique, comme si toutes nos actions devaient être orientées par cette injonction…

Nicolas Revenu – La protection de l’environnement est devenue une préoccupation incontournable qui se manifeste à di­fférents niveaux depuis plusieurs années. Au travers du changement climatique, de l’appauvrissement de la biodiversité, nous percevons maintenant des modifications de notre environnement qui nous persuadent de la nécessité de réagir à nos modes de vie, c’est-à-dire aussi à notre façon de consommer. Les milieux politiques se sont saisis de la question qui n’appartient pas qu’à des groupes d’opposants systématiques, mais aussi aux penseurs et promoteurs de nouveaux comportements. C’est ainsi qu’est née la notion de développement durable. Elle se définit comme un mode de développement répondant aux besoins du présent sans compromettre les générations futures. Elle conçoit le développement économique dans le respect de l’harmonie sociale et de la protection de l’environnement.

 

J.-N. – L’écologie n’est qu’une mode qui finira très vite par disparaître, j’en suis persuadé.

N.-R. – Si la notion de développement durable apparaît en 1970, il est évident que l’idée de la protection de la nature est présente de tout temps. Des informations sur les di­fférentes pollutions n’ont jamais manqué de nous parvenir. Nous y avons toujours été sensibles ne serait-ce que du point de vue de notre santé. Le comportement des familles principalement rurales, jusqu’après les années 1950, pourrait passer aujourd’hui pour un modèle de conduite ascétique tant il était économe au regard de nos pratiques actuelles. Il est amusant de voir les jeunes le préconiser comme s’il s’agissait d’une nouveauté, produit de la science et du progrès !

 

J.-N. – La plupart des entreprises qui se préoccupent du développement durable ne font que du « greenwashing » de toute façon. Ce n’est que de la communication !

N.-R. – Dans tous les centres de décision, il y a le souci de conserver une économie viable, voire prospère tout en assurant la protection de l’environnement. Certains pensent que « le développement durable a été créé par la communication des entreprises pour réenchanter l’économie » (Tierry Libaert). En e­ et, nous percevons encore un fort décalage entre l’économie qui continue à revendiquer sa croissance sur son modèle habituel et un « monde d’après » que nous avons bien du mal à imaginer, mais beaucoup s’y impliquent sincèrement.

 

“Si la notion de développement durable apparaît en 1970, il est évident que l’idée de la protection de la nature est présente de tout temps. […] Nous y avons toujours été sensibles ne serait-ce que du point de vue de notre santé”

 

J.-N. – L’économie verte n’intéresse pas. Ce qui compte pour le consommateur, c’est son pouvoir d’achat. C’est pour cela que les associations de consommateurs sont là, non ?

N.-R. – Les associations de consommateurs affichent toutes des ambitions écologiques parmi leurs objectifs. Elles sont le produit de la société de consommation, mais visent à favoriser une consommation réfléchie. Elles militent pour porter une attention particulière à l’essentiel, une limitation de la publicité, la lutte contre l’obsolescence programmée et la méfiance à l’égard du crédit à la consommation, présenté comme une solution aux tensions budgétaires. Le choix des familles peut infléchir la qualité écologique de l’o­ re de produits et de services. On a l’habitude de dire que les consommateurs votent avec leur porte-monnaie. Les entreprises qui ne veulent pas attendre cette sanction ou qui prennent conscience de l’importance de leur rôle engagent déjà des actions plus vertes. Ces démarches, qui sont appuyées par l’Union européenne, vont dans le sens de l’amélioration du comportement des acteurs économiques.

 

J.-N. – D’accord, mais l’environnement est d’abord une affaire politique et scientifique. Ça ne sert à rien que les catholiques s’en mêlent.

N.-R. – Dans l’encyclique Laudato si’, le pape François a détaillé le constat des risques et des inégalités qu’a générés notre société de consommation. Celle-ci a été fondée sur une croissance indéfinie. On a épuisé les richesses de la terre, sans souci de l’avenir et du bien de la maison commune pour n’en faire pro‑ ter qu’une partie de l’humanité. Les catholiques sont clairement appelés à une réflexion approfondie sur le sujet par ce texte. L’encyclique reconnaît les déséquilibres profonds créés par les économies modernes, au détriment de certaines zones géographiques ou de populations. En appelant les catholiques à une plus grande modération et à un changement d’orientation ; c’est le mode de vie qu’elle interpelle.

 

J.-N. – Les AFC doivent aider les familles dans leurs difficultés matérielles et morales. Ce souci de l’environnement est superflu quand on voit l’ampleur de leur mission !

N.-R. – Les AFC souhaitent marquer l’infléchissement de leur action consumériste vers la consommation responsable. Une association de consommateurs comme la nôtre est concernée à deux niveaux, macro et micro- économique : d’une part, elle dialogue et coopère avec les décideurs et les opérateurs de tous ordres ; d’autre part, elle fait évoluer les comportements individuels. Par sa sensibilité aux évolutions de la société, sa position d’association de consommateurs et surtout, sa référence à la Doctrine sociale de l’Église, elle doit prendre des positions qui se traduiront dans le débat public. C’est sa façon d’aider les familles à adapter leurs comportements conformément à leurs aspirations.

 

J.-N. – Ça c’est la théorie. En pratique, on ne peut pas l’appliquer à tout un mouvement et l’imposer aux familles.

N.-R. – Les AFC s’engagent résolument dans les démarches de consommation responsable, par exemple en favorisant l’émergence et l’application des politiques publiques qui vont dans ce sens : elles définissent des démarches de « responsabilité sociétale des entreprises », travaillent à la transition énergétique, sensibilisent les familles dans les domaines du logement, du transport, ou de l’alimentation. D’autre part, elles développent des exemples de modes de vie alternatifs qui font la promotion de la lutte contre le gaspillage, du recyclage et de la mutualisation des équipements ou des services. Enfin, elles prennent part aux inévitables grands débats qui s’élèvent dans la société et, sans tomber dans le piège de la division, les traitent de façon argumentée, sur des bases scientifiques qui ne recherchent pas que la satisfaction d’un confort individuel et immédiat. Les AFC n’imposent rien aux familles, elles les aident à y voir plus clair et les encouragent à agir.

 

“Les AFC s’engagent résolument dans les démarches de consommation responsable, en favorisant l’émergence et l’application des politiques publiques qui vont dans ce sens.”

 

J.-N. – Et le gaspillage alors ?

N.-R. – Le sujet du gaspillage est très illustratif du message de responsabilité que les AFC peuvent faire passer. Cela constitue une excellente initiation au danger du consumérisme du fait de la réflexion générée sur le besoin. Par exemple, le gaspillage alimentaire permet d’entrer dans le sujet d’une manière évidente, en ramenant chacun à ses pratiques. Cela conduit naturellement à la gestion des déchets et au recyclage. Mais cela permet aussi d’évoquer les gaspillages déjà effectués au stade de la production, puis de la distribution. Combien d’aliments sont éliminés pour des questions de conservation ou simplement de présentation ! Il s’ensuit logiquement une réflexion approfondie sur toute une chaîne commandée principalement par la surconsommation.

 

J.-N. – Mais si l’on écoute les écologistes, une famille pollue davantage et, à cet égard, est coupable de nuire à la planète.

N.-R. – C’est une remarque que l’on entend souvent, à l’égard de l’accroissement général de la population. On y est d’autant plus sensible que le comportement des humains est parfois nuisible à la planète. Gardons à l’esprit que les prévisions indiquent que la population mondiale cesserait de croître à partir des années 2050 ! Mais il ne nous appartient certainement pas d’appliquer un eugénisme qui déciderait de la taille des familles, dans une société qui ne viserait plus qu’à répondre aux désirs de l’Homme.

 

J.-N. – Donc il faudrait sacrifier le court-terme pour le long-terme ?

N.-R. – Les familles s’inscrivent dans la durée. C’est une évidence et une di­fférence assez marquante du positionnement des associations familiales parmi les associations de consommateurs telles que conçues sur le modèle nord-américain. Elles ont tendance à investir dans des produits solides et à moins jeter. Les jeunes générations commencent à s’apercevoir que ce n’est pas une mauvaise idée.

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