24/11/2023

Consommer en chrétien au regard de l’écologie intégrale

En ces temps de crise écologique et de baisse du pouvoir d’achat, la consommation est au cœur des préoccupations des familles françaises. À la lumière de la récente exhortation apostolique Laudate Deum et de l’écologie intégrale, Fabien Revol nous livre son point de vue et propose des pistes de discernement.

L’exhortation apostolique Laudate Deum du pape François parue le 4 octobre est-elle un bon guide pour envisager un acte de consommer qui soit inscrit dans une visée chrétienne ? L’enjeu de ce texte n’est pas d’abord le consumérisme, mais l’incitation au changement de mode de vie permettant de lutter efficacement contre la crise climatique. Cela dit, l’acte d’achat n’est pas anodin car il participe des modes de vie en question. si ce sont nos modes de vie qui sont appelés à être convertis, cela a forcément un impact sur la manière de consommer et d’acheter. Même si Laudate Deum reste modeste sur ce thème, une occurrence est tout de même à noter pour introduire le sujet : « L’effort des ménages pour polluer moins, réduire les déchets, consommer avec retenue, crée une nouvelle culture » (Ld 71). Il s’agit ici de consommer avec retenue, c’est-à-dire avec sobriété. Ce dernier point est l’axe central de l’écologie intégrale développée par le pape François dans l’encyclique Laudato si’.

La consommation est incluse dans un système d’actions qui participent ainsi à créer une culture nouvelle, c’est-à-dire ce qui fonde un nouveau mode de vie qui soit respectueux de la maison commune et de ses habitants, humains ou non-humains. On peut enfin remarquer que la phrase concerne bien les familles, à travers « les ménages » dont il est question.

Pour explorer ce que signifie consommer en régime chrétien à la lumière de l’écologie intégrale, il faut d’abord comprendre comment l’acte d’achat tel que nous le vivons se situe dans le cadre du paradigme technocratique, consumériste et productiviste de la modernité, celui-là même qui est à l’origine de la crise écologique. Dans un deuxième temps, nous envisagerons les principes d’un acte d’acheter qui soit inscrit dans le paradigme de l’écologie intégrale.

Critique du paradigme économique actuel

Une chose me frappe particulièrement quand je regarde autour de moi : l’achat occupe une part importante dans le projet de vie proposé par notre société. L’acte de consommer est essentiel car, résumé à l’action de se nourrir, il relève de la survie des individus, humains et animaux, et se situe au fondement de toute économie. Il faut d’une manière ou d’une autre prendre en charge la manière d’avoir accès aux ressources de première nécessité, ce qui passe par des actes de consommation.

Mais, de moyen pour la vie, la consommation est aujourd’hui devenue une fin en soi.

Il n’y a qu’à voir ces publicités qui nous promettent le bonheur par l’achat : tel gel douche apporte un bien être frisant le nirvana, telle réduction chez telle enseigne commerciale vous donne le sentiment profond d’exister et prétend procurer un sens à votre vie quand vous profitez d’une opération de promotion dont vous n’avez aucun besoin. Autre illustration, les revendications de la crise des gilets jaunes et les mesures prises par le gouvernement face à la crise sanitaire n’ont finalement qu’un but : sauver le pouvoir d’achat… deux thématiques connexes sont présentes dans ces exemples : la réalisation de soi et la quête de sens.

Depuis l’Antiquité, avec l’invention de la monnaie, il y a la possibilité d’acheter.

Qu’est-ce que l’argent ? Comme le dit Gaël Giraud, jésuite et économiste : c’est une parole assortie d’une puissance d’action qui fait ce qu’elle dit, comme la magie ! Acheter, avec de l’argent, c’est donc exercer un pouvoir, au service de soi ou d’un autre. Ce n’est pas pour rien que l’on utilise l’expression            « pouvoir d’achat ». Voici pour l’acte en lui-même. Qu’en est-il du contexte dans lequel il se réalise ? L’Occident est marqué par une philosophie moderne qui distingue les personnes et les biens/choses. Nous sommes ainsi programmés pour distinguer deux types de valeur : la dignité d’une fin en soi, d’une personne qui est absolue et qui ne peut jamais être considérée comme un moyen, et la valeur d’utilité d’une chose, celle du moyen, qui si elle n’est jamais absolue est donc relative à la dignité des personnes.

C’est ce qu’on appelle dans le cadre de l’écologie intégrale, la raison instrumentale. Tout existe en fonction de l’utilité humaine.

Or, c’est ce même principe qui est à l’origine de la crise écologique justement parce qu’il réduit toute entité naturelle à… un objet de consommation. Cette réduction de la dignité des créatures à l’utilité était censée élever celle de la personne humaine. il se trouve que paradoxalement, c’est le contraire qui s’est produit…

En effet, la réduction de la nature à l’utile s’accompagne de la réduction de la personne à sa capacité à produire et à consommer des biens matériels, comme expression de sa quête de bonheur. Dans une société régie par une visée religieuse et notamment chrétienne, on sait que le bonheur se trouve dans la réalisation de sa fin qui est dieu. Dans une société sécularisée, il faut bien mettre quelque chose à la place de dieu. Dans une société régie par le rationalisme, il faut que le bonheur soit quantifiable et vérifiable : la consommation de biens matériels par l’échange monétaire est donc l’indicateur le mieux placé pour accomplir le projet moderne d’accès au bonheur. Le pouvoir d’achat devient son moteur.

L’être humain est réduit à sa capacité à produire des biens matériels et à les consommer.

Cela se fait au prix d’une réduction anthropologique absolument dramatique : l’être humain est réduit à sa capacité à produire des biens matériels et à les consommer. La culture moderne a créé Homo modernus : bon producteur, performant, qui génère un maximum de profits, et bon consommateur au pouvoir d’achat lui garantissant des perspectives vertigineuses de bonheur.

C’est cette culture qu’il convient de changer et de convertir afin d’en créer une autre selon la prescription du pape François dans Laudate Dominum. Principes pour un achat inscrit dans le paradigme de l’écologie intégrale l’écologie intégrale promeut une vision alternative de la personne humaine qui prend en compte la complexité de sa composition. Elle ne se réduit pas à une seule de ses dimensions mais s’enrichit de plusieurs dont : les dimensions relationnelle, psychologique, familiale, culturelle, artistique, intérieure, spirituelle, religieuse, sans oublier la dimension matérielle. C’est pourquoi la visée du bonheur promue par le christianisme ne peut se limiter à la seule dimension matérielle, sans toutefois la nier.

L’Église catholique depuis saint Paul VI, en passant par Benoît XvI, promeut un développement intégral de la personne humaine et de tous les êtres humains sur la terre, même ceux des générations à venir. le pouvoir d’achat ne peut prétendre accomplir le désir de bonheur d’une personne ainsi constituée.

Dans un autre registre, l’écologie intégrale nous invite à sortir de l’opposition anthropocentrique entre la personne humaine, seule dotée de dignité, et les choses, définies par leur utilité. Il s’agit de restituer aux créatures ce que le pape François appelle leur valeur propre, c’est-à-dire leur valeur d’existence, gratuite et bonne aux yeux de dieu. Le nouveau mode de relation qui s’impose n’est plus la consommation mais bien la fraternité dans un esprit franciscain.

Le principal point de repère éthique pour la mise en œuvre de ce projet est la sobriété, qui consiste en l’évaluation de ses besoins nécessaires à satisfaire pour poursuivre le projet d’une vie bonne et dont l’impact sur la maison commune permet l’épanouissement de tous ses habitants, qu’ils soient humains ou non. De ce fait, l’acte d’acheter doit être éclairé par, et au service de, la poursuite du bien commun, un des principes permanents de la Doctrine sociale de l’Église.

Encore une fois, il s’agit du bien de tous les humains et de toute la personne humaine, sans exclusion, mais cela inclut également les autres créatures partageant la maison commune. Un achat qui respecte le bien commun est donc un achat qui fait du bien à la planète ! Tous les habitants de la maison commune sont reliés dans une interdépendance qui conduit le Saint-Père à répéter sans cesse : « tout est lié. » or l’achat est une partie de la relation commerciale. Comment celui-ci nous relie-t-il au lieu de nous enfermer dans un acte de consommation individualiste ? L’achat peut-il être au service du vrai bonheur humain, qui contribue au développement harmonieux de son humanité reliée aux autres et en particulier les plus pauvres à soi, à dieu et aux créatures ? (LS 71)

Voici quelques questions pratiques – non exhaustives – qui permettront de mettre ces principes en pratique :

1. Quelle est la place de la monnaie locale dans notre consommation quotidienne ? Par elle, nous favorisons
le cercle des relations commerciales locales et mettons en œuvre une solidarité de communauté. il s’agit de rendre à la monnaie sa vocation d’intermédiaire symbolique des échanges inter-humains et non plus de symbole de puissance.
2. Quelle place aux circuits courts ? Associé au point précédent, un achat en circuit court voit son impact carbone se réduire et permet une solidarité accrue avec une communauté de producteurs locaux.
3. Quelle place à l’économie circulaire ? La nature ne produit pas de déchet, nous, humains, sommes la seule espèce qui le faisons. Par ce type d’économie, on respecte les entités naturelles quand on ne cesse de les considérer comme valorisable, quand un déchet devient ressource pour une autre activité.
4. Achat solidaire ? Le fait d’acheter dans des ressourceries, des objets d’occasion dans des boutiques solidaires et éthiques fait que mon achat de puissant aide aussi un plus pauvre et aide
à protéger la planète.

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