Grand âge : nourrir la relation jusqu’à la fin
« J’ai rendu à mes parents une partie de ce qu’ils m’avaient donné ». Pendant cinq ans, Patrick a tout fait, avec l’aide de ses deux sœurs, pour que le couple de nonagénaires puisse vivre chez lui le plus longtemps possible, dans la maison que leur père avait construite de ses propres mains, et entouré de tout ce qui avait fait sa vie. Habitant le même village normand, il a commencé par leur faire les courses, les conduire chez le médecin et leur apporter du
pain frais tous les jours. Les choses se sont corsées quand son père, à 90 ans, s’est retrouvé immobilisé trois semaines après un accident : « C’est là que j’ai découvert le statut d’aidant : il fallait le lever, le retourner dans son lit… »
« Jamais l’idée de sacrifice ne m’a effleuré l’esprit »
Par la suite, Patrick s’est même inscrit à l’hospitalité de Lourdes, afin d’apprendre les bons gestes pour aider ses parents dans leur toilette. Il a fait de ce service une priorité, malgré ses nombreux engagements associatifs : « Jamais l’idée de sacrifice ne m’a effleuré l’esprit, et j’ai été vraiment heureux d’être présent auprès d’eux », témoigne le jeune retraité. « Le plus difficile a été de trouver mon équilibre personnel, pour pouvoir vraiment me donner ».
Résister à la culpabilité
Entourer de sa présence et de son affection ses parents qui vieillissent ou deviennent dépendants tout en évitant l’épuisement qui guette les aidants familiaux, prendre les décisions qui permettent à tous de vivre sereinement cette étape de la vie, ou encore résister à la culpabilité quand, contrairement à Patrick, des centaines de kilomètres nous séparent d’un proche vieillissant, tels sont les challenges de l’accompagnement dans le grand âge. « Parmi les difficultés que rencontrent les aidants, une fatigue prononcée, une augmentation de l’absentéisme professionnel et des répercussions sur la vie sociale », note Catherine Garnier, responsable d’une antenne parisienne de l’association Ensemble2Générations.
Ce réseau propose des solutions de cohabitation entre jeunes et personnes âgées, avec le souci de l’accompagnement des personnes dans leurs situations de fragilité. Patrick, lui, a trouvé un grand réconfort lors d’une session de formation pour les aidants organisée par l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles) dans sa région : « Les lundis après-midi, j’emmenais mes parents dans une structure d’accueil où ils étaient pris en charge : pendant ce temps, nous étions une vingtaine d’aidants à nous retrouver pour partager et entendre des spécialistes. Cela m’a fait beaucoup de bien de rencontrer d’autres personnes dans ma situation, et m’a aidé à me déculpabiliser de ce que je ne pouvais pas faire ».
« Le silence ne fait que favoriser des situations encore plus ambiguës
»
Comment, alors, trouver la juste place pour accompagner nos proches ? « Attention, mal vieillir n’est pas une fatalité ! » met en garde Marie de Hennezel, psychologue bien connue pour son engagement en faveur de l’amélioration des conditions de la fin de vie. « Notre société a tendance à présenter la vieillesse sous l’angle déficitaire. Or je connais énormément de gens qui ont toute leur tête jusqu’à la fin, et ne connaissent pas la dépendance ». Lorsque cette question se pose, elle ne saurait trop recommander d’en parler en famille : « On croit trop souvent que le silence protège. Or il ne fait que favoriser des situations encore plus ambiguës ; les gens sont tout à fait capables de dire ce qu’ils souhaitent pour leurs vieux jours ! Même dans les maladies cognitives, la déficience ne vient pas tout d’un coup et l’on peut en parler avec la personne, avec affection et lucidité », affirme-t-elle.
Un choix qui dépend aussi des tempéraments et des cultures familiales
Ehpad ou institution spécialisée, accompagnement à domicile ou solutions alternatives, il n’y a aucun absolu en la matière. Après quelques frayeurs et plusieurs interventions des pompiers, le père de Patrick a finalement passé les derniers mois de sa vie dans une petite maison de retraite, où il s’est trouvé moins angoissé, entouré d’aides-soignants qu’il appelait « ses anges gardiens » : « Mes sœurs et moi avons pris cette décision avec lui et nous ne l’avons pas regrettée ». Ce choix dépend aussi des tempéraments et des cultures familiales de chacun, remarque Marie de Hennezel : « Quand on pose la question autour de soi, on voit que les réponses sont très différentes ». Elle-même, âgée de 76 ans, observe toutefois une tendance de fond : « À ma génération, nous voyons bien que celle qui nous suit est très occupée ou habite souvent loin. Alors on mise plutôt sur la solidarité entre personnes du même âge, sur le fait d’être chez soi, mais avec d’autres, comme dans les béguinages qui sont de plus en plus nombreux » (cf. p.10).
Prendre en compte les trois dimensions de l’être humain : corps, psychisme et esprit
Dans son tout dernier livre, L’aventure de vieillir (éd. Robert Laffont), elle propose de considérer le vieillissement comme un dernier chapitre de la vie plein de promesses. « C’est un âge paradoxal : le corps vieillit, mais la pensée n’est pas condamnée à décliner : il y a une éclosion, une ouverture vers l’intérieur. Le grand âge est fait pour cela, et c’est souvent ce qui se passe lorsque l’on voit une personne âgée sereine et lumineuse. » La vieillesse est l’âge où l’on explore les contre-valeurs de la société, explique encore Marie de Hennezel : « La disponibilité, dans un monde où tout le monde est très occupé ; la bienveillance dans un monde très dur ; la lenteur, dans un monde qui va vite ; l’“être” dans un monde du “ faire”… Tout cela est d’ailleurs un très beau témoignage pour les enfants ». Encore faut-il que ceux-ci soient disposés à entrer avec leurs parents dans l’abandon de cette dernière période de la vie : « Les familles ont parfois du mal à trouver du sens à ce temps qui reste à vivre à leurs proches », remarque le docteur Laurent Celles, médecin gériatre à l’hôpital d’Orange, dont le service compte aussi quatre lits en soins palliatifs. Il tente alors de les encourager à apprivoiser le temps, plus que de le maîtriser. Dans son service, le soin, qui relève du relationnel, est aussi important que les traitements techniques ou médicamenteux, et la place du médecin aussi précieuse que celles ceux qui accompagnent leurs proches vieillissants ou mourants, le médecin conseille de prendre en compte les trois dimensions de l’être humain : corps, psychisme et esprit. Il demande toujours si la personne désire rencontrer un aumônier, fort de la définition des soins palliatifs que donne la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) : « prendre en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle ». Le soin du corps de la personne est aussi essentiel : « Le toucher, les massages, les odeurs, la musique… tout ce qui permet à la personne de valoriser ses sens l’apaise et lui rappelle que son corps est en vie ». Il ne redit jamais trop l’importance de la présence : « La plus grande souffrance du patient qui vieillit ou approche de la mort n’est pas physique, elle est relationnelle, et vient de cette impression de l’indifférence du monde à son égard ».
« On a ressorti les albums photo, entre fous rires et accès de larmes »
Vient le temps du dernier adieu. Pour que la fin soit la plus apaisée possible, Marie de Hennezel, qui a accompagné de nombreux mourants, recommande aux familles de ne pas attendre les tout derniers moments pour convoquer les services de soins palliatifs quand la personne est à domicile. Parmi les demandes qui reviennent le plus souvent : « Mourir dans son lit, ne pas souffrir, ne pas être forcé de s’alimenter ou de boire, et être entouré ». C’est ainsi qu’est partie la mère de Sophie (1) à qui l’on a diagnostiqué à 90 ans passés au sortir du confinement un cancer du pancréas avec pronostic vital engagé : « On s’est tous dit qu’on allait profiter de chaque journée qui nous était donnée », se souvient-elle. « Toute la famille s’est rendue disponible et certains petits-enfants se sont même installés en télétravail dans la maison. On a partagé de bons repas, on a ressorti les albums photo, entre fous rires et accès de larmes. Maman était lucide jusqu’au bout, elle blaguait, communiait tous les jours. Les petits enfants venaient jouer sur son lit, dans sa chambre où l’on avait aussi installé un piano… » En ce mois d’été où le temps s’est suspendu, chacun a pu parler en profondeur avec celle qui s’en allait. Sophie en garde un souvenir « magnifique de sérénité et de lucidité ».
Même quand la personne semble inconsciente, elle peut encore entendre
« Soyez authentiques, laissez parler votre cœur », abonde Marie de Hennezel. « N’hésitez pas à mettre des mots sur ce que vous vivez : “ je ne te reverrai peut-être pas, alors voilà ce que je voulais te dire” c’est là que se disent les pardons, l’amour ». Même quand la personne semble inconsciente, elle peut encore entendre, comme cet homme entré dans un coma agonique : « Quand sa femme lui a avoué l’amour qu’elle éprouvait pour lui, et qu’elle ne lui avait pas dit depuis des années, il a laissé couler une larme… Je peux vous dire que son deuil a été très différent ». Soigner la relation jusqu’au bout apaise ceux qui s’en vont comme ceux qui restent.
Conseils de vie sociale : ce qui a changé au 1er janvier 2023
Les conseils de vie sociale (CVS) présents au sein des Ehpad et autres établissements sociaux et médico-sociaux ont pour mission de rendre des avis et de faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement ou du service. Y siègent deux représentants des personnes accueillies ou prises en charge, un représentant des familles ou des représentants légaux, un représentant du personnel et un représentant de l’organisme gestionnaire. Selon un décret qui a pris effet le 1er janvier 2023, son rôle a été renforcé pour permettre d’accroître les contrôles dans les établissements d’hébergement pour personnes dépendantes et la transparence des établissements envers les résidents et les familles à la suite du scandale Orpea. Parmi les changements, l’augmentation du nombre de représentants du personnel, des usagers et de leurs familles. Le nombre des sujets qui requièrent la consultation du CVS a également été élargi.