Un meilleur usage de l’information
Entretien
Qui sont-ils ?
- Marie Legrand est la référente nationale des Chantiers-Éducation et mère de quatre enfants, de 22 à 16 ans.
- Aymeric Pourbaix est le directeur de publication de la revue France Catholique.
Pourquoi s’informer nécessite d’être éduqué ?
Marie Legrand – Trois raisons importantes exigent une éducation à l’information : il existe d’une part de nombreuses informations aux contenus qui ne sont pas forcément adaptés à l’âge de nos enfants. D’autre part, les propos malveillants sur Internet se multiplient. Enfin, tout le monde peut devenir producteur d’images et journaliste. Est-ce que nos enfants se sont bien renseignés sur la personne qui délivre ces informations ?
Aymeric Pourbaix – Une partie des journalistes est devenue une sorte de clergé laïque. Plutôt que de délivrer une information et de laisser chacun se faire son propre avis, ils s’érigent en une forme de magistère sur ce qu’il faut penser, ce qu’on peut et ne peut pas dire. Une certaine idéologie s’exprime à travers cela et il faut savoir la décrypter. C’est pourquoi je pense qu’il faut se préoccuper, en amont, de l’éducation générale des enfants avant même de parler d’éducation aux médias : il faut se rendre compte que les médias ont un filtre. Car l’information n’est pas neutre et l’objectivité n’existe pas ; je crois plus en l’honnêteté du journaliste. L’enfant doit donc savoir appréhender les événements et être capable de penser par lui-même. Cela s’apprend en famille et à l’école.
M. L. – Je suis d’accord. J’essaie dans mon éducation de questionner mes enfants, sur tout sujet, pas seulement sur l’actualité, mais aussi sur ce qu’ils entendent à l’école de leur professeur et des autres élèves. Il est important de savoir comment nos enfants réagissent pour éveiller leur esprit critique.
A. P. – Je pense qu’il faut d’ailleurs distinguer l’esprit critique de « l’esprit de critique ». L’esprit critique est important pour faire le tri. « L’esprit de critique » démolit tout ce qui se fait autour de nous, sous prétexte d’une fausse neutralité. Bien sûr les mauvaises nouvelles arrivent, mais ne représentent que 50% des informations. Les journalistes ont tendance à ne voir que les trains qui n’arrivent pas à l’heure. Peut-être qu’aujourd’hui, nous en souffrons trop. On l’a vu lors de la crise liée à la Covid-19 : les médias ont créé un climat anxiogène. En tant que journaliste, je suis attaché à promouvoir ce qu’il y a de bien, de beau et de vrai. Nous sommes surinformés, mais est-ce que nous ne sommes pas aussi mal informés ? C’est toute la question du rapport à la vérité.
M. L. – Je rajouterais un écueil à « l’esprit de critique » : je pense que cela provoque un renfermement sur son petit groupe, sans esprit d’ouverture. À force de critiquer dans le mauvais sens du terme, on a tendance à se tourner uniquement vers ceux qui sont d’accord, alors que l’esprit critique est d’aller chercher partout l’information pour déterminer ce qui est vrai.
« S’attacher à ce que les jeunes réfléchissent sur le sens des mots serait utile pour lutter contre les fakes news. » Aymeric Pourbaix
Quel serait le rôle des parents, de l’école et les journalistes dans l’éducation à l’information ?
M. L. – En tant que parent, j’accompagne mes enfants dans ce qu’ils regardent sur leur téléphone portable. Je suis très attentive à écouter la conversation qu’ils ont entre eux à propos de l’actualité. Les miens sont grands. Quand ils étaient plus jeunes, j’étais aussi attentive à ce qu’ils trouvent un bon moteur de recherche et qu’ils ne sautent pas directement sur le premier venu. Aujourd’hui, j’essaie de faire en sorte qu’ils soient informés. La plupart du temps, mes enfants lisent l’actualité depuis les réseaux sociaux : dans les dîners en famille, cela va parfois dans toutes les directions parce que chacun a son point de vue pris sur tel ou tel réseau. Mes enfants cherchent souvent les informations qui percutent, mais qui ne sont pas forcément vraies : ils font l’erreur, comme toute la génération Z, de n’utiliser que ce canal de communication. Mon objectif est de faire en sorte qu’ils ne réceptionnent pas seulement l’information d’une manière passive. Je souhaite créer une discussion autour, qu’ils aient l’envie d’approfondir. De plus, ils savent très bien manipuler tout cet environnement et sont très attentifs aux dangers des fake news.
A. P. – En tant que journaliste, il me semble qu’une des premières choses est d’apprendre aux jeunes à ramer à contre-courant. Quand on est catholique, que l’on prône un certain nombre de valeurs fondamentales, il peut y avoir un décalage assez important entre ce qui est prôné dans le milieu familial et ce qu’on transmet à l’extérieur. Il est important que les enfants apprennent à vivre avec ce hiatus. Il ne faut pas non plus être uniquement sur le mode de la réaction, mais donner aux enfants les références positives qui vont leur permettre de construire de belles familles et de belles entreprises, ou de s’engager dans la vie de leur pays ou dans les médias. Dans notre revue France Catholique, nous proposons aux jeunes et aux enfants des articles qui leur permettront de se réapproprier les choses de la foi et du patrimoine français. Qu’ils aient ces références en tête le jour où ils devront faire des choix, se positionner, discerner…
M. L. – Quant à l’école, il y a eu deux propositions qui ont été faites dans le lycée de mes enfants : rechercher l’origine de l’erreur d’une fake news en démêlant le vrai du faux ; rédiger un article sur une problématique précise et, d’un contenu proposé, en faire le sien. J’ai particulièrement apprécié cette démarche et mes enfants aussi. L’école vient véritablement en complément du rôle des parents.
Les médias traditionnels sont aujourd’hui l’objet d’une fréquente remise en question dans leur manière de traiter l’information, tandis que les jeunes médias issus du web sont souvent accusés de produire des fakes news. En tant que parents ou en tant que journaliste, comment peut-on parvenir à distinguer le vrai du faux et aider les jeunes à se faire leur propre idée ?
« Mon objectif est de faire en sorte que mes enfants ne réceptionnent pas seulement l’information d’une manière passive. Je souhaite créer une discussion autour, qu’ils aient l’envie d’aller chercher un peu plus loin. » Marie Legrand
A. P. – J’aurais une attention particulière au sens des mots. La langue française est magnifique, précise et claire. Les parents et l’école devraient davantage mettre l’accent dessus. Dans les médias, il y a un certain nombre de mots-valises qui circulent, il y a des modes, mais on s’aperçoit derrière que c’est un peu creux ou que le sens est détourné : on emploie un mot pour un autre et les intentions ne sont pas toujours très droites. S’attacher à ce que les jeunes réfléchissent sur le sens des mots serait utile pour lutter contre les fakes news.
M. L. – Je sens dans la génération de mes enfants une grande spontanéité et instantanéité. J’ai à cœur de leur dire qu’on apprend mieux en prenant du temps, pas seulement dans l’éducation à l’information. Souvent, j’ai l’impression qu’ils zappent. Les relations et les amitiés se construisent aussi dans la durée.
A. P. – Je rejoins ce que dit Marie. Appliqué au domaine de l’information, on a tendance à dire qu’un clou chasse l’autre. On ne met pas tant l’accent sur la véracité des faits que sur le flux incessant de vraies ou fausses informations. L’un des critères de discernement est ce qui va être durable : ce qui est vrai s’inscrit dans la durée. Il est donc important de ne pas trancher trop vite.
À partir de quel âge un jeune peut-il s’informer en toute objectivité ?
M. L. – Je ne donnerais pas d’âge. Même avec mes enfants étudiants, je reste vigilante. Cela dépend de la maturité de chacun et de la place dans la fratrie. Les plus jeunes sont très attentifs à ce que disent les plus grands. Mon plus jeune enfant va davantage chercher l’information que mon aîné. Il est notamment très intéressé par les lois de bioéthique. Il suit assez vivement ces débats. L’esprit critique s’apprend tout au long de l’éducation. D’autre part, je suis gênée par le terme d’« objectivité » qui me semble difficile à évaluer en tant que parents. On désire que nos enfants reçoivent l’information d’une manière plus critique. De là à ce qu’ils reçoivent l’information d’une manière objective… Pour moi, ce n’est pas pareil.
A. P. – On dit que pour l’éducation sexuelle, il faut en parler assez tôt à l’enfant, dès qu’il pose des questions. Pour l’information, c’est un peu pareil : dès les premières interrogations, il faut être à même de lancer cet apprentissage. Je pense aussi au regard de foi avec lequel on peut appréhender une information : comment recevoir une actualité dramatique avec confiance puisque tout est dans la main de Dieu ? Tous ces événements, même s’ils sont parfois difficiles à entendre, entrent dans le dessein de Dieu.
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