Transhumanisme : entretien avec Mgr Aupetit
Entretien réalisé en janvier 2016
Par les « progrès » des sciences et des techniques, le transhumanisme désire non seulement la réparation ou l’amélioration des caractéristiques physiques et mentales des
êtres humains mais il aspire à la création d’un homme nouveau. Et cet homme nouveau serait l’œuvre de lui-même.
L’homme deviendrait l’auteur de sa propre évolution et de ses transformations fondamentales. C’est donc le désir de modifier l’homme actuellement mortel et limité pour en
faire, grâce à son génie, un « être » différent et développer une « cyberhumanité ». L’homme deviendrait parfait, sans défaut, réparable à l’infini et donc espérant atteindre l’immortalité.
Nous percevons bien que ce qui est envisagé à travers le transhumanisme est une modification radicale de notre perception de l’être humain : l’homme ne se perçoit plus comme venant d’un autre, de Dieu pour les Chrétiens, mais aussi de ses parents. Il devient son propre créateur dans le sens où il se fait et se modifie lui-même. Et c’est donc bien une modification radicale de l’homme et de ce qu’il est qu’envisagent les promoteurs du transhumanisme.
Même si cette transformation ne concernera qu’un petit nombre de personnes, le rêve des transhumanistes modifie dès à présent la perception de l’humain pour tous les hommes.
Loïc d’Hautefeuille
Pédo-psychiatre et membre de l’équipe bioéthique de la CNAFC
Rencontre avec Monseigneur Aupetit, évêque du diocèse de Nanterre
1/ Transhumanisme : sujet à la mode ou réel danger ?
En fait il ne s’agit pas d’un sujet véritablement nouveau. Si les techniques modernes nous laissent entrevoir des possibilités inexistantes jusqu’alors, le principe du transhumanisme se fonde sur une question anthropologique : le refus d’une acceptation des limites naturelles de l’humanité. La vision qui sous-tend cette idéologie réduit l’être humain à son fonctionnement physiologique. L’être humain est considéré comme une mécanique physico-chimique dont il faut améliorer les performances quitte à modifier la machine. Francis Crick le codécouvreur de la structure hélicoïdale de l’ADN affirmait : « vous, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, le sens que vous avez de votre identité et de votre libre arbitre, ne sont rien de plus que le comportement d’un vaste assemblage de cellules nerveuses et de molécules qui sont associées ». De là il tirait cette conclusion effrayante : « aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique. S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie ». C’est ce type de pensée qui a conduit au transhumanisme qui ne cherche pas seulement à réparer l’homme comme la médecine le fait, mais à le transformer et à l’augmenter pour créer un homme nouveau, sans limites et sans vulnérabilité.
2/ Doit-on avoir peur de la science et du progrès ?
Non, la science est une bonne chose. L’Église l’a rappelé au Concile Vatican II et Benoît XVI, après bien d’autres papes, l’a redit dans son encyclique « L’amour dans la vérité ». Je le cite : « la technique est une réalité profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme. Elle exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la matière. La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser ses forces et d’améliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même du travail humain ».
La question qu’il faut se poser est celle-ci : est-ce que ce progrès technique est véritablement un progrès humain ? C’est toute la question de l’éthique qui permet de discerner ce qui est bénéfique pour l’humanité. Déjà, Rabelais faisait réfléchir à cette question : «Sapience n’entre point dans âme malivole, car science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
3/ la science va-t-elle remplacer Dieu ?
C’est encore une question ancienne que Napoléon 1er posait au grand savant Simon de Laplace. Celui-ci croyait fermement que la science allait remplacer Dieu et lui a répondu : « Dieu est une hypothèse dont on peut se passer ». Pétrie de l’esprit des lumières, la science déterministe du XIXe siècle considérait comme ignorance la foi en Dieu dont le rôle servait à combler le vide que la science ne tarderait pas à combler rapidement. Depuis la science a fait d’énormes progrès et affirme aujourd’hui que l’incertitude n’est pas le produit d’une ignorance mais une donnée du réel. La science nous dit aujourd’hui que le réel et plus grand que la perception que nous en avons. Dans ce cas, l’hypothèse de l’existence de Dieu est une possibilité envisageable du réel. La méthode scientifique s’appuie sur l’observation, l’interprétation et l’évidence expérimentale. Elle explore la matière et son champ d’action s’exerce sur une quantité, qu’elle soit sous la forme de la masse, de l’espace ou du temps. Elle ne peut pas rendre raison d’un Dieu immatériel qui échappe à son domaine d’observation.
4/ Quelle est la réponse de l’Église et des chrétiens ?
En ce qui concerne le transhumanisme, la réponse est à rechercher dans la vérité de l’homme. Le transhumanisme est cette illusion de croire que les progrès de la médecine et de la technoscience feront disparaître toutes les pathologies et permettront, à terme, l’immortalité par cette transformation de l’homme à partir des nanotechnologies, de l’informatique et de la reprogrammation génétique. Face à un homme invulnérable, le christianisme annonce un Dieu qui s’est fait vulnérable par son Incarnation en habitant les limites de notre humanité. Il nous a montré à partir de cette vulnérabilité que l’amour seul peut transfigurer cette humanité.