Adolescents : savoir qui je suis pour choisir où je vais
Qui sont-elles ?
Frédérique Guerre est formatrice au sein de l’atelier des parents et de l’IEDH. Elle intervient auprès d’adolescents et de leurs parents, et donne des conférences dans différents lieux.
Lucie Chavanne est cofondatrice des Formidables, organisme qui accompagne les jeunes par différents parcours dès le collège pour les aider à gagner en confiance et à éclairer leurs choix d’avenir.
Comment les jeunes que vous rencontrez se projettent-ils dans l’avenir ?
Lucie Chavanne – Nous constatons qu’ils se projettent assez peu, tard, et surtout sur des métiers un peu « valise », inspirés de ce qu’ils voient autour d’eux, dans leur famille ou sur les réseaux sociaux. Jusqu’au début du lycée, ils sortent peu des chemins connus. Nous rencontrons aussi beaucoup de doutes, de questions, parfois de l’angoisse, et il est rare de voir un élève, même en Première ou Terminale, qui soit capable de citer trois qualités pour se décrire, ou de décrire ce qu’il aime faire et ce qui le motive dans la vie. Ce stress vient aussi du fait qu’on s’y prend trop tard, c’est pourquoi nous avons décidé de proposer nos parcours de connaissance de soi dès le collège. Non pas pour les questionner tout de suite sur leur métier, mais pour les accompagner dans la découverte d’eux-mêmes.
Frédérique Guerre – Je remarque aussi que les ados sont perdus. Ils sont dans un moment instable où le regard qu’ils portent sur eux-mêmes fluctue beaucoup. D’où l’importance de montrer que l’on croit en eux. une étude menée à Harvard [voir zoom p8] a montré les effets bénéfiques de la confiance qu’on place en eux. Quant à l’orientation, je trouve qu’ils subissent parfois une sorte de pression. On leur demande très tôt ce qu’ils veulent faire, or c’est difficile pour eux qui ne savent justement pas bien qui ils sont. Ils peuvent même parfois donner une réponse simplement pour être tranquilles. Pour moi l’orientation est vraiment quelque chose qui se mûrit, qui demande de prendre du temps, de s’observer soi-même et les autres, de se renseigner.
Collégiens, lycéens… Quelles sont les spécificités de chaque âge dans la construction de la personnalité ?
L. C. – Cette question est difficile parce qu’on tombe vite dans la caricature, mais il y a quand même de grandes étapes : au début du collège, on reste dans la fin de l’enfance. Selon les neurosciences, l’ado est alors en surproduction de matière grise, ouvert et curieux, et ses apprentissages sont très rapides. Le rôle modèle du parent et le lien de confiance avec lui sont préservés. En 4e-3e, on rentre dans une phase de montagnes russes émotionnelles difficile à gérer pour l’ado et pour ses parents. La confiance en soi est mise à mal. c’est à ce moment de la construction de la personnalité que nous intervenons avec Les Formidables : notre approche est fondée sur le fait que personne n’a les mêmes talents que les autres, qu’on en a tous et qu’ils sont tous beaux. cela permet aussi la découverte de l’altérité : ce n’est pas parce qu’on est différent qu’on ne peut pas entrer en relation, et on a besoin les uns des autres parce qu’on n’a pas les mêmes talents. Vient ensuite le lycée : ça s’apaise un peu. c’est là que nous entrons dans le vif du sujet de l’orientation ; comment ce que j’ai découvert sur mes talents et mes forces va éclairer mes choix d’avenir ?
F. G. – Je vous rejoins quant à la vulnérabilité des ados. À cet âge, ne sachant pas qui ils sont, ils préfèrent être le clone d’un autre pour cacher leur vulnérabilité. Pour les parents, aider son enfant à développer sa personnalité commence très tôt : tout au long de l’enfance, ils remplissent une valise de toutes les valeurs qu’ils veulent lui transmettre. Le petit les prend d’abord comme repères, pour faire plaisir à ses parents et parce qu’il n’a pas d’autres modèles. L’adolescent, lui, va tout envoyer bouler. Puis il va faire ses propres choix et discerner ce qu’il veut garder, afin de refaire sa propre valise, qui fera de lui un adulte autonome avec ses objets à lui. Il s’affirme d’abord en se différenciant de ses parents, puis en devenant une copie conforme des autres ados avant de s’en démarquer petit à petit.
Quelles sont les différentes facettes de la connaissance de soi ?
L. C. – Je pourrais donner trois ingrédients. D’abord, la découverte par le jeune de sa singularité. il s’agit de l’aider à repérer ce qu’il sait faire avec facilité, ce qui lui donne de l’énergie, etc. deuxièmement, l’importance du regard bienveillant de l’autre. Nos parcours impliquent les parents ou les camarades de classe : quand ils décrivent à l’ado ce qu’ils ont observé de lui et racontent des moments où ils l’ont vu utiliser ses talents, cela confirme ses forces et l’aide à croire en lui. c’est ce regard qui ancre la connaissance de soi. le jeune n’est pas seul devant son ordinateur ou son téléphone à répondre à des questionnaires de personnalité parfois très aléatoires. Le troisième ingrédient, c’est l’action : c’est beau de connaître ses talents, mais l’important c’est de savoir ce qu’on en fait. On appelle ça l’activation des talents. L’adolescence est vraiment l’âge de la prise de risque et de la créativité, il est bon de les encourager à tester, à faire des stages, des expériences. On gagne en confiance en soi parce qu’on se voit utiliser ses talents.
F. G. – Parents ou éducateurs, nous sommes des révélateurs des talents des jeunes que nous accompagnons. et notre regard aidera d’autant mieux le jeune si on lui décrit ce qu’on voit de lui, lui permettant de trouver lui-même sa propre valeur. lui dire qu’il est courageux ne va servir à rien : si demain un camarade lui dit le contraire, il ne saura plus qui croire. Alors que si on décrit ce qu’il a fait, il va se dire lui-même : « je suis courageux ». Notre critique doit être constructive et non pas évaluative. c’est à lui de prendre conscience de ses atouts. il est important, aussi, de le laisser exprimer ses opinions : expliquer ce à quoi il croit va l’aider à se connaître. d’ailleurs, ces échanges nous font grandir nous aussi !
L’adolescence est une deuxième naissance pour nos ados, mais aussi pour nous.
Entre intrusion et désengagement, comment accompagner ses enfants tout en les laissant libres pour leurs choix d’avenir quand on est parents d’ados ?
F.G. – l’adolescence est vraiment une question de dosage : certains auront besoin de plus de soutien et les autres de plus de liberté. les parents non plus ne sont pas les mêmes. J’ai des souvenirs de rencontres de parents en période d’orientation, certains ne savent même pas quels vœux ont choisis leurs enfants, tandis que d’autres ne lâchent pas les leurs, essayant de les convaincre de s’inscrire à telle ou telle formation ! Je crois que l’équilibre passe par le fait de montrer au jeune qu’on est présent s’il en a besoin et qu’on cherche à le soutenir, mais que c’est lui qui choisira à la fin.
L.C. – votre question parle de la confiance : si je suis dans l’intrusion, c’est certainement que je n’ai pas confiance dans la capacité de mon ado à se débrouiller seul et à faire ses choix ; à l’inverse, si je suis dans le désengagement, c’est que je ne me fais pas suffisamment confiance pour reprendre la situation en main avec bienveillance et pour l’accompagner. La confiance, c’est la capacité à vivre des expériences tout en acceptant de naviguer dans l’inconnu. En tant que parent, cela veut dire accepter que notre enfant soit dans l’incertain, qu’il connaisse des revirements, et rester serein malgré tout. car ce n’est pas à lui de nous rassurer, mais plutôt à nous, parents, de lui donner confiance ! Dans cette période de choix, faire intervenir un tiers dans le binôme parent-ado est souvent pertinent.
F.G. – Absolument, car le parent, du fait de son lien affectif, peut parfois vouloir que son enfant répare ce qu’il n’a pas pu faire lui-même. On croit souvent connaître notre enfant mais on a un prisme. c’est intéressant de le voir agir avec d’autres, de l’observer dans ses différents engagements. D’où l’importance, aussi, de garder sa porte ouverte pour que ses amis viennent à la maison et nous le révèlent d’une manière différente.
Comment réagir quand nos enfants sont en difficulté ou qu’on n’est pas d’accord avec leurs choix ?
F.G. – En tant que parents, on veut le meilleur pour son enfant : on choisit pour lui la meilleure école, les meilleures activités, on se projette pour lui dans un avenir heureux par une voie qu’on imagine. Et puis cet enfant peut choisir quelque chose de complètement différent. Il faut alors faire le deuil de cet enfant rêvé. Ce qui est important c’est de garder le lien avec lui. J’aime cette image où chacun se tient sur une montagne : il s’agit d’essayer de rejoindre le jeune sur sa montagne afin d’observer son point de vue et d’essayer de le comprendre, sans le juger. Par cette rencontre, on va l’interroger sur ses motivations, mais on va aussi l’aider à cheminer et à explorer en profondeur ses raisons d’agir. Cela demande de faire preuve d’ouverture et d’accepter qu’il puisse se tromper. Et s’il fait un choix qui ne nous semble pas pertinent, je crois quand même que notre devoir de parents, après avoir souligné les raisons de notre inquiétude, est de le soutenir une fois qu’il est posé. De l’aider à trouver les moyens pour que, peut-être, cela fonctionne. Et le soutenir à nouveau si cela n’aboutit pas.
L.C. – Quand on n’est pas d’accord avec le choix de son enfant, il est intéressant de se demander pourquoi : « qu’est-ce que cela dit de moi, de mes peurs, de mes filtres ? » Ensuite, se poser les mêmes questions pour son enfant : « Pourquoi a-t-il tellement envie de faire cela ? Qu’est-ce que cela montre de ses motivations, de ce qu’il aime faire ? » Passer par ces interrogations est très important. dans un deuxième temps, l’idéal est d’adopter une posture de partenaire, d’équipier, et de creuser la piste ensemble. Beaucoup de parents cherchent à faire rencontrer à leur enfant des personnes qui exercent ce métier : cela peut aider à sortir de l’image d’Épinal et à se confronter à la réalité. Le parent, quand il connaît bien son enfant et les environnements propices pour qu’il déploie ses ailes, peut aussi l’aider à se poser les bonnes questions pour savoir si cette voie lui correspond bien ou non. Enfin, même si c’est difficile en tant que parents, il faut accepter que le jeune puisse se tromper : la vie est longue, on peut faire des allers-retours. Dans l’échec, on apprend et on développe aussi plein de compétences. Si on arrive à garder un peu de sérénité, c’est génial !
Zoom
Une expérience prouve l’importance d’un regard bienveillant
Une expérience menée à San Francisco a prouvé que les résultats des élèves étaient d’autant meilleurs que leurs enseignants plaçaient leurs espoirs en eux. En septembre, les chercheurs ont fait passer des tests de Q.I. à tous les enfants, gardant les résultats pour eux. Ils ont sélectionné au hasard cinq enfants par classe, qu’ils ont présentés comme « prometteurs » à leurs enseignants. À la fin de l’année scolaire, les chercheurs ont refait passer un test de Q.I. à tous les élèves pour comparer les résultats des élèves dits normaux et ceux des élèves désignés comme prometteurs. Ces derniers ont en moyenne beaucoup plus progressé que les autres. Ces résultats sont particulièrement vrais pour les classes de CP et de CE1, pour lesquelles on peut penser que les attentes des enseignants jouent un grand rôle.