28/01/2022

Le mariage : un engagement fort ?

Regards croisés d’une élue locale engagée dans la promotion du mariage civil et d’un curé de paroisse, docteur en théologie.

Qui sont-ils ?

Caroline Carmantrand est maire adjoint à la famille et à la petite enfance à Asnières-sur-Seine (92)

Le P. Jacques de Longeaux est curé de la paroisse Saint-Pierre-du-Gros-Caillou (Paris 7e) et professeur à la faculté de théologie du Collège des Bernardins

Vous qui côtoyez des personnes qui s’engagent dans le mariage aujourd’hui, que pouvez-vous dire d’elles et des raisons de leur choix ? 

Caroline Carmantrand. La plupart de ces couples vivent déjà ensemble. Ils ont souvent des enfants. Leur choix de se marier civilement correspond généralement à la volonté de protéger l’autre et leurs enfants. Le Pacs ne protège pas en cas de décès. Pour une minorité d’entre eux, c’est une obligation avant de se marier religieusement – ce n’est d’ailleurs pas une obligation pour les musulmans : beaucoup d’entre eux sont déjà mariés religieusement quand ils viennent à la mairie. Enfin, je sens quand même, dans la discussion avec les futurs mariés que je rencontre, que le mariage civil reste un gage de durée. C’est une manière de dire à l’autre : « j’ai envie que ce qu’on a commencé à construire dure ». C’est aussi ce que j’essaie de leur faire dire.

P. Jacques de Longeaux. Les couples que nous recevons souhaitent un mariage religieux. Leur relation est arrivée à un certain niveau de maturité, souvent lié, dans mon expérience, à la décision d’avoir des enfants. Leur démarche de foi peut être très différente d’un couple à l’autre, et même au sein du couple. S’ils se marient à l’Église, c’est souvent pour la dimension rituelle, solennelle de la célébration. Notre rôle est de les faire entrer davantage dans la dimension du sacrement, qu’ils sont souvent assez loin de comprendre. D’autre part, ils ressentent fortement une obligation sociale à faire une grande fête, ce qui peut faire obstacle au mariage quand ils n’ont pas la stabilité matérielle suffisante pour organiser cet événement. Ou encore quand leurs parents sont divorcés, parce qu’ils ne savent pas comment inviter leur père et leur mère en mauvais termes.  Il peut donc y avoir un désir de se marier que l’on recule, tellement cela paraît difficile, lourd ou cher. Et nous avons beau leur expliquer que l’on peut se marier à quatre, nous avons du mal à être compris.

“Je sens quand même, dans la discussion avec les futurs mariés que je rencontre, que le mariage civil reste un gage de durée.” Caroline Carmantrand

Quelle est à vos yeux l’importance du mariage civil ?

C. C. – On voit bien qu’une famille stable est la base de la société. Les foyers avec une femme seule représentent 50 % des familles en dessous du seuil de pauvreté. La séparation d’un couple aura des conséquences lourdes sur la société, l’éducation des enfants, la demande de logements sociaux et on se tourne vers la société. C’est entre autres pour ça que je trouve important que, devant le maire, le couple se pro- mette respect, fidélité, secours et assis- tance, et de pourvoir ensemble à l’éducation des enfants. Ce sont des mots forts.

P. J. de L. – Les gens nous disent par- fois : « au fond, c’est simplement un lien d’amour, qu’est-ce que l’État a à voir là-dedans ? » On leur explique que le mariage n’est pas uniquement une bénédiction de l’amour, mais qu’il est l’institution qui fonde une famille et qu’à ce titre, la société est concernée au premier chef, ne serait-ce que parce qu’il s’agit de son avenir. Les époux vont être très exigeants vis-à-vis d’elle, pour leurs enfants. Mais cette question est très clivante au niveau idéologique. La conception de la société qui prévaut aujourd’hui est celle d’une société d’individus, et non plus d’un ensemble de fa- milles. Les solidarités familiales jouant moins – même si elles jouent encore beaucoup –, cela laisse de nombreuses personnes sur le bord de la route. Les ruptures conjugales créent beaucoup de pauvreté. De mon point de vue, la société devrait au maximum soutenir la stabilité des couples, mais cette idée apparaît de plus en plus opposée à la liberté individuelle de se séparer en cas de difficultés conjugales.

C. C. – Il est vrai que, par exemple, l’État finance la médiation familiale lors d’une séparation, mais aucun conseil conjugal et familial n’est pris en charge en amont pour aider les familles à surmonter les difficultés passagères comme la majorité d’entre elles peuvent en rencontrer. À Asnières, je me suis battue pour que nous ouvrions un Point Écoute Famille avec une conseillère conjugale et familiale à destination des familles de la ville. Il est financé par la ville d’Asnières, par l’Udaf, et je me bats pour que la Caf participe au financement, sans succès. Sans même parler de morale, d’un point de vue stricte- ment financier, aider une famille à ne pas exploser coûte beaucoup moins cher à la société. En six ans, la ville a doublé les subventions pour ce Point Écoute Famille, tellement il est visité. Mais le conseil conjugal et familial est trop peu encouragé par les politiques publiques.

« Le mariage n’est pas uniquement une bénédiction de l’amour, mais il est l’institution qui fonde une famille et à ce titre la société est concernée au premier chef » P. Jacques de Longeaux

Que répondez-vous à ceux qui voient dans le mariage une institution vidée de son sens par la facilitation du divorce et le mariage pour tous ? 

C. C. – C’est sûr qu’on peut voir dans le mariage civil une porte ouverte au divorce. Mais je suis désolée, les cinq articles du Code civil restent les mêmes, et quand je les lis, je n’ai pas l’impression de lire du vent ou quelque chose sans conséquence. Alors oui, ceux qui ont promu le mariage pour tous n’ont pas compris que deux des cinq articles du mariage concernaient les enfants et qu’on en arriverait inévitablement à la Procréation médicale assistée (PMA) pour les couples de femmes. Mais pour moi, ce sont deux questions complètement différentes.

P. J. de L. – Au moment du mariage pour tous, on s’est demandé si le mot mariage avait encore le même sens pour nous, chrétiens, et pour l’État. Nous serions malheureux que l’État brade le mariage civil. Après une embellie autour des années 2000, on observe une érosion du nombre de mariages. Les gens ne voient pas la différence entre mariage, Pacs, concubinage… Nous sommes devant des choix de société et des débats idéologiques importants. Mais je pense que soutenir le mariage, qu’il soit civil ou religieux, c’est contribuer au bien des époux, à celui des enfants et à la qualité du lien social.

C. C. – Oui, je suis souvent choquée quand je viens de célébrer un mariage et que je tombe sur des publicités pour Gleeden*, encourageant les femmes à tromper leur mari, sur les bus du service public. Ces gens qui encouragent la fragilisation du couple ne se rendent pas compte des ravages causés par une séparation sur les femmes. Est-ce qu’ils sont là pour les accompagner quand elles viennent nous demander un logement social et une place en crèche ?

Alors comment promouvoir le mariage ?

C. C.À Asnières, nous proposons une préparation au mariage civil de- puis sept ans, avec le soutien de l’association Cap Mariage. Pour nous, il s’agit d’un devoir d’information sur le mariage civil à l’égard des Asniérois. Une partie est consacrée, avec l’aide de notaires, aux contrats de mariage, une deuxième aux articles du Code civil, et une troisième à la personnalisation de la cérémonie. Nous voulons leur montrer que le mariage est important, qu’on veut faire de ce jour quelque chose d’unique, qui leur ressemble, et que ce n’est pas uniquement un geste administratif. Chaque année, 20 % des 300 couples qui se marient dans notre ville participent à cette préparation. Nous proposons aussi tous les ans une « soirée des mariés », un moment pour prendre soin de son couple avec un conseiller conjugal ou un autre intervenant. Cette soirée rencontre un grand succès, elle est devenue une institution à Asnières. C’est une façon pour nous de dire aux habitants toute l’importance de prendre soin de son couple, de le construire dans la durée.

P. J. de L. – Je trouve formidable qu’il y ait une formation au mariage civil. D’ailleurs, les époux que je rencontre sont surpris mais extrêmement touchés quand ils ont eu un discours comme le vôtre à la mairie. De notre côté, nous proposons dans ma paroisse une préparation plus ample, sur six dimanches dans l’année. Nous insistons pour dire que c’est le mariage, en tant que réalité humaine, qui est un sacrement de la Nouvelle Alliance. Nous voulons surtout leur donner l’occasion d’échanger en couple sur les questions de fond, en espérant que cette habitude perdure. Et, évidemment, nous approfondissons avec eux le sens du sacrement, ce lien indissoluble parce qu’au-delà du contrat, c’est Dieu qui s’engage et donne les époux l’un à l’autre. Mais, si on s’investit beaucoup pour la préparation au mariage, il faudrait qu’il y ait le même effort pour la suite, pour aider à renouer une communication quand c’est nécessaire. Ce que nous a demandé le pape François, dans Amoris Laetitia, c’est d’accompagner les couples après le mariage.

Partager cet article
Actualités

Ces articles peuvent vous intéresser

Le mariage, gage de stabilité
Aime et fais ce que tu veux : une maxime pour l’éducation ?