03/01/2025

Qu’il y a-t-il derrière le Nutri-Score ?

Son impact sur la santé publique est prouvé, mais il ne suffit pas à résoudre les problèmes de santé liés à une mauvaise alimentation. Enquête.

L’indicateur nutritionnel apparu en 2017 est désormais entré dans les mœurs, et son impact sur la santé publique est prouvé. Il ne peut toutefois pas répondre à lui seul à l’immense enjeu de santé publique que représentent les maladies liées à une mauvaise alimentation.

 

De quoi s’agit-il ?

Le Nutri-Score est un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, placé sur le devant des emballages alimentaires et établi en fonction de la valeur nutritionnelle du produit. Proposé par l’équipe de recherche du Pr Serge Hercberg de l’université Sorbonne-Paris-Nord, il a été lancé en France en 2017 par Santé publique France, dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé.

Le score est attribué sur la base d’un calcul prenant en compte, pour 100 g ou 100 ml de produit, deux éléments : d’une part, la teneur en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d’olive) ; et d’autre part, la teneur en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel). Plusieurs pays européens comme la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la suisse, l’ont repris à leur compte. Si l’affichage du Nutri-score est recommandé par le centre international de recherche sur le cancer et l’Organisation mondiale de la santé, il n’a pour autant aucun caractère obligatoire.

 

A quels enjeux répond-il ?

« La baisse de la mortalité liée aux maladies non transmissibles (qui sont corrélées aux habitudes alimentaires) est devenue un thème majeur pour les Nations Unies », lit-on dans une note produite par Eat Europe, un cercle de réflexion qui entend « bâtir des ponts entre producteurs et consommateurs pour une transformation durable et résiliente des systèmes alimentaires de l’UE ». Le Nutri-Score est donc destiné à aider les consommateurs à avoir une alimentation équilibrée, et à lutter ainsi contre les maladies non transmissibles telles que l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, respiratoires et métaboliques, les caries, l’hypertension, la résistance à l’insuline, la stéatose hépatique et les cancers.

« À l’exception du diabète, ces maladies n’ont pas d’influence génétique (elles ne peuvent pas être héritées) et même si une prédisposition génétique à ces maladies est présente chez l’individu, leur manifestation peut être considérablement réduite et/ou retardée si une attention particulière est accordée à l’hygiène de vie », écrit Eat Europe. « Il y a un immense enjeu d’éducation en matière d’alimentation », expose Yves Madre, président du think tank européen Farm Europe, expert en dynamique des territoires ruraux et des secteurs alimentaires, qui est à l’origine d’Eat Europe : « Toute une génération – les personnes qui ont aujourd’hui 25 à 90 ans – n’a aucune culture de base quant à l’alimentation : par  manque de temps et de savoir-faire, on n’a plus le réflexe  d’associer des produits de base et de les cuisiner. » De fait, le rapport de Farm Europe le confirme : le citoyen européen moyen consomme entre 7 et 12 g de sel journaliers contre les 6 g indiqués pour une alimentation équilibrée ; 37 % de graisses, au lieu des 20 à 35 % de l’apport énergétique total quotidien recommandé ; ou encore 24 cuillères à soupe de sucre par jour, au lieu de six. Autant d’excès qui favorisent l’apparition des maladies citées précédemment. Pour les pays européens, l’enjeu est donc sanitaire, mais aussi économique, indique encore la note produite par Eat Europe : « Les maladies non transmissibles représentent également une charge pour les systèmes de santé, puisqu’elles représentent au moins 0,8 % du PIB européen. Chaque année, les systèmes de santé publique de l’UE doivent débourser 115 milliards d’euros pour le traitement de maladies qui auraient pu être évitées ».

 

Prendre le temps de cuisiner des recettes agréables et équilibrées, c’est aussi l’un des enjeux pour répondre aux mauvaises habitudes alimentaires. 

 

Comment se servir du Nutri-Score pour ses achats alimentaires ?

Tel qu’il a été conçu, le Nutri-score ne doit servir à comparer que des produits de même catégorie. Grâce à son système  de notes et son échelle de couleurs basiques, visibles en « front of pack » – sur le devant de l’emballage –, on peut comparer des fromages entre eux, des confitures ou des pizzas entre elles. Chaque Nutri-score étant calculé sur une base de 100 g, on peut cependant faire la comparaison entre des conditionnements de poids différents. Pour Xavier Lefebvre, ingénieur agroalimentaire à l’Institut national de la consommation et pour le magazine 60 millions de consommateurs, le dispositif est d’autant plus intéressant  que le produit est transformé, et qu’il est difficile de savoir ce qu’il y a dedans : « Il ne sert pas à grand-chose pour les produits bruts ou peu transformés. Mais dès que la liste d’ingrédients s’allonge, il est d’une bonne aide pour se représenter sa valeur nutritionnelle : on peut lui faire confiance, puisqu’il est calculé sur plus de critères que le tableau nutritionnel qui figure au dos des produits. »

Attention cependant aux mauvaises interprétations. La plus courante : croire que les produits classés D ou E sont absolument mauvais pour la santé : « Il ne faudrait surtout pas se dire : “quand c’est tout vert, c’est bon, et quand c’est tout rouge c’est mauvais”, prévient Sylvie Willemin, nutritionniste, qui pilote le déploiement du Nutri-score chez Nestlé : aucun produit n’est mauvais en soi s’il est consommé avec des portions adaptées ». Le Nutri-Score donne aussi une indication de fréquence, conseille-t-elle : « des produits notés D ou E sont à consommer moins souvent dans une alimentation équilibrée ». Un consommateur qui prendrait la note au pied de la lettre n’achèterait jamais de beurre ou d’huile ! In fine, plus qu’à des préconisation précises, “l’échelle de lettres fait appel au bon sens du consommateur » : « Pour avoir une alimentation équilibrée, il faut avoir de toutes les lettres dans son panier », résume Yves Madre.

« Toute une génération n’a aucune culture de base quant à l’alimentation » Yves Madre

 

Atouts et limites du Nutri-Score

depuis sa sortie en France, le Nutri-Score est régulièrement l’objet de polémiques entre les pouvoirs publics et les industriels de l’agroalimentaire. En témoigne encore, en septembre dernier, la vive réaction de certains groupes agroalimentaires qui ont annoncé retirer l’affichage du Nutri-Score de certains de
leurs produits devant le durcissement de son nouveau mode de calcul. De nombreux groupes ont pourtant choisi de l’adopter, comme Nestlé, qui a décidé en 2019 de l’afficher sur l’ensemble des produits éligibles de sa marque : « Nous nous sommes saisis de cette occasion de faciliter la compréhension des informations présentes sur les produits », déclare Sylvie Willemin, directrice nutrition de la marque leader mondiale de l’agroalimentaire. Occasion, aussi, d’améliorer la qualité des produits pour atteindre un meilleur score : « Nous avons fait un énorme travail, par exemple, pour baisser la teneur en sucre et en sel de notre gamme de céréales du petit-déjeuner. Elles comportent aussi désormais pour moitié des céréales complètes. » À la tête de Farm Europe, Yves Madre, lui, est partagé : il dénonce la récupération marketing qu’ont pu en faire certaines marques : « On a vu des promotions promettant un produit gratuit pour deux produits notés A ou B ». Pour améliorer leur note, d’autres ont mis au point des recettes encore plus transformées, affirme-t-il, citant une « mayonnaise » sans œuf ni huile, conçue pour obtenir une note A… du côté des consommateurs, Xavier Lefebvre, à l’Institut national de la consommation, se félicite quant à lui du dispositif, jugeant ces dérives « marginales » et regrettant qu’il ne soit pas obligatoire : « Tout n’est pas parfait, évidemment, mais le Nutri-score est le résultat d’un très bon consensus scientifique, affirme-t-il. C’est une belle avancée dans la transparence des entreprises vis-à-vis du consommateur, et sa mise en place a eu un impact positif sur la qualité des produits ». En septembre 2024, une étude publiée dans le Lancet Regional Health-Europe a établi un lien entre les maladies cardio-vasculaires et la consommation de produits alimentaires moins bien classés au Nutri-score. Elle s’ajoute à une succession d’études qui associent depuis 2018 le Nutri-Score à la prévention des cancers ou des maladies cardio-vasculaires.

 

Au delà du Nutri-Score, un enjeu éducatif

Ne serait-ce que du fait de son extrême simplicité, le Nutri-score ne peut pas répondre à lui seul aux enjeux immenses que posent le manque de culture nutritionnelle et la mauvaise alimentation d’une large partie de la population européenne. Pour y répondre, Yves Madre en appelle à des politiques tournées vers l’éducation de la jeunesse sur ces questions : « Dans nos sociétés, l’alimentation est devenue le dernier des refuges “plaisir” des personnes qui n’ont pas les moyens d’aller au restaurant, au cinéma ou au théâtre : au-delà des notes, qui risquent de les culpabiliser, il est urgent de leur donner les moyens de discerner et le goût de cuisiner une alimentation qui soit à la fois agréable et équilibrée ».
s’il ne partage pas son point de vue sur l’aspect culpabilisant du Nutri-score, Xavier Lefebvre abonde quant à l’importance d’aborder la nutrition sous un angle positif : « D’une manière générale, dans ce domaine, la privation est ce qu’il y a de plus délétère, car les personnes ont tendance à “rechuter”. Il faut conserver la notion de plaisir et de goût ». Des questions qui dépassent largement le cadre de la santé publique, estime Yves Madre : « En tant que société, nous avons aussi une vraie responsabilité à retrouver, aussi par l’alimentation, une cohésion sociale, des valeurs, le sens de l’accueil et de la vie les uns avec les autres ».

La CNAFC, association de consommateurs

La Confédération nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC) est l’une des 16 associations de défense des consommateurs reconnues par la DGCCRF (la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes). Grâce à cet agrément, la CNAFC vient en aide à tous les particuliers qui rencontrent des difficultés d’ordre commercial avec des entreprises. Ainsi, en cas de litige, toute personne, même non adhérente aux AFC, peut contacter l’une des nombreuses antennes consommation disséminées dans toute la France.

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